Le Conseil d'Etat sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux
N° 248192-248204 - Séance du 28 octobre 2002, lecture du 29 novembre2002
CONSEIL NATIONAL DES GROUPES ACADEMIQUES DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC, UNSA et autres


Texte intégral de la décision

Vu 1°), sous le n° 248192, la requête enregistrée le 26 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le CONSEIL NATIONAL DES GROUPES ACADEMIQUES DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC demandant au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 avril 2002 du ministre de l'éducation nationale relatif à la mise en place d'un enseignement bilingue par immersion en langues régionales dans les écoles, collèges et lycées "langues régionales" et les circulaires n° 2002-103 et 2002-104 du 30 avril 2002 ;

 

Vu 2°), sous le n° 248204, la requête enregistrée le 27 juin 2002, présentée pour l'UNSA EDUCATION, la FEDERATION DES CONSEILS DE PARENTS D'ELEVES DES ECOLES PUBLIQUES (FCPE, le SYDNICAT DES ENSEIGNANTS UNSA et la FEDERATION DES DELEGUES DEPARTEMENTAUX DE L'EDUCATION NATIONALE demandant au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 avril 2002 du ministre de l'éducation nationale relatif à la mise en place d'un enseignement bilingue par immersion en langues régionales dans les écoles, collèges et lycées "langues régionales", de la circulaire n° 2002-103 du 30 avril 2002 relative à la mise en place d'un enseignement bilingue par immersion en langues régionales dans les écoles, collèges et lycées "langues régionales" et de la circulaire n° 2002-104 du 30 avril 2002 relative au recrutement et à la formation des personnels des écoles, collèges et lycées "langues régionales" ;

2°) de condamner l'Etat à leur payer 4 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la Constitution, notamment son article 2 ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Picard, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de l'UNSA EDUCATION et autres et de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de l'association Diwan,

- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;


Sur la jonction :

Considérant que les requêtes enregistrées sous les n°s 248192 et 248204 sont dirigées contre les mêmes actes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur l'intervention de l'association Diwan :

Considérant que l'association Diwan a intérêt au maintien des actes attaqués ; que son intervention est dès lors recevable ;

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du ministre de l'éducation nationale du 19 avril 2002 et la circulaire n° 2002-103 du 30 avril 2002 :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution : "La langue de la République est le français" ; qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 4 août 1994, "la langue française (…) est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics" ; qu'aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'éducation : "Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. (…) Cette formation peut comprendre un enseignement, à tous les niveaux, de langues et cultures régionales" ; qu'aux termes de l'article L. 121-3 du même code, issu de l'article 11 de la loi du 4 août 1994 : "La langue de l'enseignement, des examens et des concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l'enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères, ou lorsque les enseignants sont des professeurs associés ou invités étrangers. / Les écoles étrangères ou spécialement ouvertes pour accueillir des élèves de nationalité étrangère, ainsi que les établissements dispensant un enseignement à caractère international, ne sont pas soumis à cette obligation" ; qu'aux termes de l'article L. 312-11 du même code : "Les maîtres sont autorisés à recourir aux langues régionales dans les écoles primaires et maternelles chaque fois qu'ils peuvent en tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l'étude de la langue française" ;

Considérant que l'arrêté attaqué prévoit que, "dans les académies dans lesquelles un conseil académique des langues régionales a été créé en application du décret du 31 juillet 2001 susvisé, un enseignement bilingue selon la méthode dite de l'immersion peut être mis en place par le recteur pour la totalité des élèves des écoles, collèges et lycées "langues régionales", après consultation du conseil académique des langues régionales (…)" ; qu'aux termes de l'article 2 du même arrêté "l'enseignement bilingue par la méthode dite de l'immersion se caractérise par l'utilisation principale de la langue régionale, non exclusive du français, comme langue de l'enseignement. La pratique de la langue régionale est encouragée dans la vie quotidienne des écoles et établissements "langues régionales" ; que la circulaire n° 2002-103 du 30 avril 2002 précise que "la langue régionale est la langue principale de l'établissement. Sa pratique est encouragée dans la vie quotidienne de l'école" et qu'"à l'école maternelle, phase la plus intensive de la langue régionale, l'ensemble des activités scolaires et leur accompagnement s'effectue dans cette langue" ; que cette circulaire prévoit également qu'à l'école élémentaire, "l'introduction du français s'effectue progressivement", "que l'apprentissage de la lecture se fera en langue régionale", que "l'enseignement de la lecture et de l'écriture en français commence au cours du CE1" et que "certaines activités pourront être proposées en français en dehors du temps normalement consacré à l'enseignement dans cette langue si elles ne peuvent l'être en langue régionale de façon équivalente" ; que ce texte prévoit des modalités pédagogiques similaires pour les collèges et les lycées, l'enseignement étant effectué principalement en langue régionale ;

Considérant que selon la méthode dite par "immersion" mise en place par l'arrêté du ministre de l'éducation du 19 avril 2002 et la circulaire n° 2002-103 du 30 avril 2002 qui la complète, la langue régionale est utilisée soit exclusivement dans les écoles maternelles, soit comme langue principale d'enseignement et de communication dans les écoles et établissements des premier et second degrés ; que les modalités ainsi définies d'apprentissage de la langue régionale, selon lesquelles les activités des différents domaines prévus par les programmes sont pratiquées en langue régionale, limitent l'enseignement en français, dans l'enseignement du premier degré, à l'apprentissage de la langue française et à des notions de mathématiques et dans le second degré à deux disciplines par niveau ; que de telles prescriptions vont au-delà des nécessités de l'apprentissage d'une langue régionale et excèdent ainsi les possibilités de dérogation à l'obligation d'user du français comme langue d'enseignement qu'autorisent les dispositions des articles L. 121-3 et L. 312-11 du code de l'éducation ; qu'ainsi, les dispositions de l'arrêté du 19 avril 2002 et de la circulaire n° 2002-103 du 30 avril 2002 méconnaissent ces dispositions législatives ; que, par suite, les syndicats et groupements requérants sont fondés à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions dirigées contre la circulaire n° 2002-104 du 30 avril 2002 :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ces conclusions ;

Considérant qu'en fixant, par la circulaire attaquée, les conditions dans lesquelles les personnels enseignants et non-enseignants pourront être affectés dans les écoles, collèges et lycées "langues régionales" et bénéficier de formations adaptées, le ministre de l'éducation nationale a, ainsi qu'il lui appartient de le faire dans son pouvoir d'organisation du service, pris les dispositions nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, sans méconnaître les dispositions statutaires des corps auxquels appartiennent les personnes concernées, ni empiéter sur le domaine des lois de finances ; que, par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à payer à l'UNSA EDUCATION, à la FEDERATION DES CONSEILS DE PARENTS D'ELEVES DES ECOLES PUBLIQUES, au SYNDICAT DES ENSEIGNANTS UNSA et à la FEDERATION DES DELEGUES DE L'EDUCATION NATIONALE une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :


Article 1er : L'intervention de l'association Diwan est admise.

Article 2 : L'arrêté du 19 avril 2002 du ministre de l'éducation nationale relatif à la mise en place d'un enseignement bilingue par "immersion" en langues régionales dans les écoles, collèges et lycées "langues régionales" et la circulaire n° 2002-103 du 30 avril 2002 du ministre de l'éducation nationale sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à l'UNSA EDUCATION, à la FEDERATION DES CONSEILS DE PARENTS D'ELEVES DES ECOLES PUBLIQUES, au SYNDICAT DES ENSEIGNANTS UNSA et à la FEDERATION DES DELEGUES DE L'EDUCATION NATIONALE une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'UNSA EDUCATION, à la FEDERATION DES CONSEILS DE PARENTS D'ELEVES DES ECOLES PUBLIQUES, au SYNDICAT DES ENSEIGNANTS UNSA, à la FEDERATION DES DELEGUES DE L'EDUCATION NATIONALE, au CONSEIL NATIONAL DES GROUPES ACADEMIQUES DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC, à l'association Diwan et au ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.